Comment la Chine est devenue une société sans argent liquide ?

Plus de 95 % des Chinois effectuent des paiements mobiles, le pays se classe au premier rang mondial pour ces transactions, selon une étude réalisée par Ipsos en 2019. Aux Etats-Unis, le taux de pénétration s’élève à 56 %, alors que ce type de paiement peine encore à convaincre les Français, dont seulement 10% l’ont adopté, loin derrière la plupart des pays Européens.
Pourquoi la Chine est-elle si en avance et comment elle est en train de devenir le laboratoire du paiement mobile et nous donne un aperçu d’une société sans argent liquide ?

La genèse du paiement mobile en Chine


Il est avant tout nécessaire de replacer cette adoption massive du paiement via le smartphone dans son contexte. En Chine, les cartes bancaires ne se sont jamais vraiment imposées. Pendant longtemps, le cash a été roi pour régler tous ses achats.

De nombreux commerçants acceptaient au mieux les cartes du réseau Union Pay, et rarement celles des réseaux américains tels que Visa, Mastercard ou American Express. Seuls les grands magasins ou les hôtels internationaux, habitués à une clientèle étrangère, les acceptaient.

L’écosystème a été bouleversé par les deux grands géants du numérique chinois : Tencent et Alibaba, et plus précisément avec leurs applications respectives WeChat et Alipay.

Alipay était à la base une application de services financiers, permettant notamment de régler ses achats sur des sites e-commerces, tels que Taobao, en une ou plusieurs fois.

WeChat est souvent décrit comme l’équivalent de WhatsApp, mais c’est en fait bien plus que ça. Plus qu’un service de messagerie instantanée, c’est un véritable couteau suisse, avec des mini-programmes qui permettent de réaliser tout un tas d’opérations du quotidien.

Ces deux applications sont aujourd’hui devenues indispensables en Chine. Elles permettent avec une simplicité déconcertante de commander un taxi, d’acheter des billets de train, de se faire livrer ses courses ou un repas, de prendre un rendez-vous chez le médecin, de payer ses factures d’électricité, etc.

Et puis surtout, elle permettent de régler ses achats auprès des commerçants. Dans les grandes villes chinoises, les paiements via mobile représentent quasiment 100% des transactions et quasiment plus personne n’a des espèces sur elle.

Comment fonctionne le paiement mobile en Chine ?


Comment fonctionne le paiement mobile en Chine ?

Comment fonctionne le paiement mobile en Chine ?



Il suffit de faire ses premiers pas dans l’Empire du Milieu pour remarquer immédiatement des codes QR qui fleurissent un peu partout, sur les devantures des magasins, aux caisses des boutiques, dans les restaurants, et même sur les étals de fruits et légumes sur les marchés.

Ces codes QR sont le cœur du système de paiement mobile en Chine. Chaque utilisateur possède son code personnel. Pour envoyer de l’argent à quelqu’un, il suffit d’ouvrir WeChat ou Alipay, de toucher le bouton de paiement, de saisir le montant et de scanner le code QR de la personne.

Dans les boutiques, la gestion des codes QR est directement intégrée aux caisses enregistreuses. En place du lecteur de carte bancaire que l’on est habité à voir en France, il y a un lecteur de code QR. Pour régler vos achats, vous ouvrez l’application, et scannez votre code QR personnel avec le lecteur.

Là où ce système prend tout son intérêt, c’est que n’importe qui peut accepter des paiements sans avoir besoin d’avoir un équipement particulier, et parfois coûteux. Il suffit d’imprimer son code QR sur une feuille de papier pour pouvoir être payé. C’est pour cette raison que le système s’est rapidement et largement démocratisé auprès des petits commerçants, les vendeurs dans la rue.

De plus, il n’y a aucune limite de paiement, pas comme en France où il est courant de se voir refuser un paiement par carte bancaire en dessous de 10€ voir 15€.

Les Chinois sont pragmatiques, tout ce qui peut leur faire gagner du temps est bon à prendre. Dans un pays de plus de 1,4 milliard de personnes, aller vite est essentiel, et les clients défilent à une vitesse parfois hallucinante aux caisses des commerçants.

Est-ce que les étrangers peuvent payer avec leur mobile en Chine ?


Pendant longtemps, c’était quelque chose de compliqué, voir impossible. En effet, il fallait posséder un compte dans une banque chinoise pour le relier aux applications WeChat et Alipay. Et cela commençait à poser des problèmes pour les voyageurs étrangers.

Il n’était pas rare d’avoir des situations presque ubuesques où un client voulait payer en espèces, mais le commerçant ne pouvait les accepter, car il n’avait pas de fond de caisse pour rendre la monnaie. Car tous les clients payent uniquement avec leur smartphone.

Depuis 2019, WeChat et Alipay proposent maintenant leurs services aux étrangers, mais de façon quelque peu différente.

Avec WeChat, vous pouvez lier une carte bancaire internationale (Visa, Mastercard ou American Express). Chaque paiement via l’application se transformera en un paiement sur la carte.

Avec Alipay, vous chargez un compte prépayé, et les transactions sont ensuite débitées sur ce compte, que vous pouvez recharger par palier de 2000 Yuans (environ 280€). A la fin de votre séjour, vous pouvez vider le compte et récupérer l’argent qui se trouve dessus.

Si vous prévoyez de partir faire un voyage en Chine, consultez ce guide pour configurer les paiements avec Alipay ou WeChat. Prévoyez quand même un peu d’espèces, juste par sécurité, au cas où vous rencontriez des problèmes, afin de ne pas vous retrouver sans aucun moyen de payer sur place.

Cependant, si les voyageurs ont maintenant la possibilité de payer auprès d’un commerçant, d’autres fonctionnalités sont restreintes. Vous ne pouvez par exemple par envoyer ni recevoir de l’argent d’un proche. Si vous arrivez pour le nouvel an chinois, vous ne pourrez pas recevoir de Hongbao (ces pochettes rouges contenant de l’argent, donné entre proches).

Est-ce que le système est sûr ?


Est-ce que les étrangers peuvent payer avec leur mobile en Chine ?

Est-ce que les étrangers peuvent payer avec leur mobile en Chine ?



Les questions de sécurité sont forcément au cœur des systèmes de paiement, et il est légitime de se demander si ce système de code QR est fiable, et s’il y a des risques de se faire arnaquer.

Dans l’absolu, aucun système n’est infaillible, il est toujours possible d’avoir des failles techniques ou humaines. En pratique, il n’y a pas plus de risques qu’avec d’autres systèmes de paiement.

Pour payer, vous devez déjà déverrouiller votre téléphone, ouvrir l’application et saisir votre code d’authentification, ce qui limite la possibilité d’avoir des achats frauduleux avec un téléphone volé.

Ensuite, vous êtes automatiquement notifiés lors d’un achat ; si ce n’est pas vous qui en êtes l’auteur, vous pouvez le signaler immédiatement, et vous serez alors remboursés.

Le système popularisé par WeChat ou Alipay est peut-être moins robuste qu’ApplePay, mais beaucoup plus que le paiement sans contact par carte bancaire, pour lequel il n’y a aucune vérification. Si quelqu’un vous vole votre carte, il peut faire plusieurs achats jusqu’à quelques dizaines d’euros, sans avoir à saisir le code.

WeChat et Alipay sont utilisés chaque jour par plus de 1,3 milliard de Chinois. Sur l’année 2021, le montant des transactions avec paiement par code QR a dépassé les 40 000 milliards de Yuans (plus de 5 600 milliards d’euros).

Le système a largement fait ses preuves…

Quel est l’avenir du paiement mobile en Chine ?


Des expérimentations sont en cours pour payer par reconnaissance faciale. Le pays est très en avance sur cette technologie, qui s’annonce prometteuse car elle est encore plus fiable, et plus rapide. Il suffit de placer son voyage devant un écran équipé d’une caméra, et c’est payé !

Depuis 2014, le gouvernement chinois travaille sur le e-Yuan, le Yuan numérique, basé que le principe de la blockchain. L’objectif est d’aller encore plus loin dans une société véritablement sans argent liquide.

Les objectifs de ce projet sont multiples : lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, les trafics illégaux, l’évasion fiscale. Mais il y a aussi un autre aspect : les données personnelles.

Comme les Chinois payent toutes leurs dépenses courantes avec WeChat ou Alipay, Tencent et Alibaba accumulent énormément de données personnelles sur les usagers. Ils savent quels endroits visite une personne, ce qu’elle fait, ce qu’elle mange, où elle s’habille, comment elle se distrait, etc.

Alors que l’Europe n’a pris que récemment le problème à bras-le-corps avec le « Digital Act » (qui a du mal à se mettre en place), c’est quelque chose que le gouvernement chinois a anticipé bien plus tôt, et a même parfois pris des décisions sévères.

La licorne chinoise du vélo en libre service, Ofo, en a fait les frais. Son modèle économique était trop basé sur l’acquisition et la revente de données personnelles. Pékin a mis le holà, ce qui a participé à la chute de l’entreprise (qui devait aussi faire face à d’énormes dépenses et à l’inexpérience de son fondateur).

Didi, le Uber chinois, a été accusé de collecte illégale de données personnelles. L’application a été retirée des magasins d’applications, le temps que l’entreprise « se rachète une virginité ».

Le gouvernement chinois considère que les données personnelles de 1,4 milliard de personnes, ne doivent pas appartenir à quelques groupes. Au contraire, c’est quelque chose de souverain. Avec le Yuan numérique, Tencent et Alibaba ne seront plus que des « opérateurs financiers », et pourront moins collecter de données des utilisateurs.

Évidemment, certains occidentaux affirmeront qu’il vaudrait mieux que les données soient dans les mains de deux entreprises, plutôt que dans celles d’une « dictature communiste ». Pourtant, tous les sondages (Ipsos, Harvard, etc) montrent chaque fois qu’à 95%, les Chinois ont confiance dans leur gouvernement. Mais ça, c’est un autre sujet…